Parce que la nostalgie est intimement liée à l'émotion, savourons le plaisir de conseiller un excellent livre d'histoire. Un vrai, comme on les aime, parmi ceux qui savent faire la part entre la légende, toujours suspecte, et la réalité, rarement exaltante...
En s'attaquant à l'affaire Guy Môquet — enquête sur une mystification officielle — on pourrait penser que les auteurs, Jean-Marie Berlière et Franck Liaigre, aiment jouer les historiens maudits. Parce qu'ils ne font pas partie du sérail médiatique du mandarinat universitaire estampillé « spécialistes de l'Occupation ». Parce qu'ils donneraient l'impression de se poser en redresseurs de torts. Parce qu'ils refusent d'obtempérer à la « caporalisation mémorielle », au risque de « désenchanter le réel », comme ils le confessent d'un air malicieux.
Leur étude sur fonds d'archives est précise, concise, fort éloquente. L'écriture, assez tonique, donne envie d'aller jusqu'au bout. Un hommage mérité en un temps où l'université ne connaît plus de grande plume.
En moins de 130 pages, en dehors des annexes et des notes, nos deux experts démontent les ressorts bien huilés de la première mystification française du XXIe siècle : le culte rendu à Guy-Môquet sur l'autel de la concorde républicaine...
Inutile d'accabler notre petit Nicolas : l'histoire n'a pas attendu son mauvais génie, — l'auguste énarque Guaino —, pour inventer le story-telling, cette cuisine éditoriale où la guimauve hagiographique fait mousser les bons sentiments patriotiques.
Jean Jaurès, Léon Blum, Mendès-France ne sont-ils pas, à leur manière, des « saints laïcs » ? Une posture d'intouchables qui dissimule elle aussi, sans doute, une part de mystification, propice à nourrir les rêves du peuple de gauche. Autant dire que l'histoire des impostures a de beaux jours devant elle...
Sans artifice ni concession, la démonstration de MM. Berlière et Liaigre est d'autant plus remarquable qu'elle dérange.
Elle s'appuie tout d'abord sur des archives et des faits que des historiographes partisans ont préféré laisser de côté.
Elle jette aussi un regard sans complaisance sur la redoutable manipulation de la classe ouvrière par le parti communistes français, gardien et inventeur de sa propre histoire.
Elle se plaît enfin à ringardiser un peu plus « l'école résistancialiste » qui s'échine, à coups de subventions et de commémorations, à ériger la Résistance en un puissant vecteur de valeurs humanistes, comme si la muse Clio pouvait se permettre de donner des leçons de morale, déguisées en instruction civique.
Les vrais livres d'histoire, eux, à l'image de celui-ci, ont la décence de laisser le lecteur seul juge. Parce qu'un citoyen éclairé n'a que faire d'une histoire officielle...
BERLIÈRE (Jean-Marc) & LIAIGRE (Franck) - L'affaire Guy Môquet - Enquête sur une mystification officielle - (Paris, Larousse, octobre 2009, 160 pages, 12 €)
NB- En clin d'œil à la couverture de ce livre, une anecdote historique pour celles et ceux qui empruntent, comme moi, l'inconfortable ligne 13 du métro parisien.
C'est le 27 janvier 1946 que la station Marcadet-Balagny a changé de nom pour célébrer la mémoire de Guy Môquet, le plus jeune des prisonniers fusillés au camp de Châteaubriant le 22 octobre 1941. Exécuté à 17 ans, le jeune homme est devenu la figure emblématique de l'engagement communiste dans la Résistance, et la référence éponyme de la dialectique Sarkozyste ...