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BAS LES MASQUES ! (4/7)

Masque-4A.pngSuite de notre feuilleton sanitaire.

Là où Irénée réalise soudain que le masque abolit la laideur. Mieux encore, notre caissière-philosophe comprend pourquoi il nous rendrait (presque) intelligent. Même son ami Friedrich Nietzsche vient lui donner raison.

Après « Le masque interroge », savourez l’ÉPISODE 4 : « Le masque affranchit ».

Le masque affranchit

Si le masque affranchit, c’est sans doute par défaut. Ce n’est ni sa fonction, ni sa vocation. Mais il œuvre ainsi, à son insu, et plutôt à son avantage. Sur le terrain esthétique, sous couvert de l’anonymat, il décomplexe, il désinhibe, il rassure beaucoup plus qu’il ne protège. Parce que le masque se porte garant d’une impitoyable égalité plastique. Avec le masque, sans nez ni bouche, notre visage est défiguré. Le principe de précaution légitime soudain l’anonymat, pour le meilleur et sans le pire. En 2019, entrer dans un magasin avec un masque était synonyme de hold-up imminent. En 2020, c’est devenu synonyme d’acte bienveillant. Preuve que l’interprétation procède plus du contexte que de la réalité.

Mieux encore, avec le masque, la laideur est abolie. Le nez devient un appendice dénué de caractère : il n’y a plus de gros nez, de nez crochu, de nez aquilin. Et la bouche n’est plus qu’un orifice obstrué : il n’y a plus de lèvres lippues, de dents pourries, et encore moins de bec de lièvre.

Certes la laideur est abolie. Mais la beauté ne triomphe pas. Elle doit hélas capituler face à cet accessoire qui se dérobe à l’élégance. Voudrais-je me faire belle, porter de jolies fringues, jouer à la fashion-victim, que le masque se rappelle aussitôt à moi pour briser mes efforts vestimentaires. De toute évidence, le masque ne fait pas bon ménage avec le charme. Pour preuve, cet outil sanitaire s’accommode fort mal de la fantaisie, qu’elle soit de textile ou de couleurs.

En fait de masque, l’originalité ne sied pas. Hygiénique, il est. Inesthétique, il demeure. Minimaliste, il s’affirme. Tel un plus-petit-dénominateur-commun-de-la-servitude-librement-consentie, révélant une équité sociale de bon aloi : le masque soulage les complexes des laides gens et contrarie la coquetterie de « Mademoiselle-je-m’aime ». Là où l’uniformité serait tentée d’imposer une normalité. Là où la normalité accuse un peu plus la pauvreté du langage facial. Seuls les yeux, — froncés, plissés ou rieurs —, libèrent des émotions. Seule la voix, pour peu que la diction ne soit pas trop étouffée, affirme une tonalité, une personnalité, un tempérament qui ose déjouer la sournoiserie du masque.

Oui, il est sournois, le masque. Et sa réputation n’est pas usurpée, assène Corneille dans sa tragédie Nicomède ; « Et ce masque trompeur de fausse hardiesse nous déguise sa crainte et couvre sa faiblesse. »

Il est tellement fourbe, le masque, qu’il suffit de le retirer pour recouvrer sa franchise et ou révéler tout ce qui était caché jusqu’alors, au risque de tomber dans le travers inverse, nous alerte le grammairien Claude Fabre de Vaugelas : « Ce fut là qu'il leva le masque et qu'il se donna en proie à toutes ses passions. »

Pour peu que le port du masque perdure, entre duplicité et sincérité, nous ne savons plus à quel visage se fier, nous préviennent Émile et Jules Goncourt : « Les masques à la longue collent à la peau. L’hypocrisie finit par être de bonne foi. »

Jadis, la bonne cause pouvait triompher de la dissimulation du visage, juste le temps du carnaval, puisque le port du masque autorisait d’emblée une totale liberté de langage ou de manières. N’est-il pas tentant de tirer quelque profit de l’anonymat ? Pour Friedrich Nietzsche, passant outre le procès en mascarade, nul accessoire n’est plus nécessaire à celles et ceux rompus à la philosophie : « Tout esprit profond a besoin d’un masque. »

Sans fatuité, du haut de mon parcours universitaire, je pense avoir un esprit profond. Voilà pourquoi j’approuve sans réserve le port du masque. Comme humble caissière d’hypermarché, j’en suis fort aise. Et je ne me reconnais point parmi ceux qui pensent que le masque nous rend esclaves.

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Commentaires

  • La notion de beauté est relative si on se réfère à l'article BEAU,BEAUTÉ du Dictionnaire philosophique de Voltaire :
    " Demandez à un crapaud ce que c'est que la beauté, le grand beau, le to Kalon. Il vous répondra que c'est sa femelle avec ses ses deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. "
    Après tout le crapaud assume son identité et ne se pose pas de question sur l' hypocrisie du paraître qui finit par nous faire oublier l'être.
    Avez- vous entendu le chant cristallin du crapaud par un beaux soir d'été à la campagne ?
    Vous préférez sans doute les vocalises du rossignol mais la délicatesse du chant du crapaud n'est pas sans charme. Il ne porte pas de masque bien sûr et ainsi il chante à son aise tandis que nous humbles choristes amateurs heureux de partager la beauté de la musique vocale polyphonique, nous devons porter un masque et nous sommes sommes frustrés de ce qui nous aide à vivre.
    Désolée Monsieur Nietzsche, je n'ai pas besoin de masque qui emprisonne ma joie de vivre et vous l'avez dit un jour vous-même :
    " Sans la musique, la vie serait une erreur, une besogne éreintante,un exil."
    Chanter avec un masque tout en respectant les distances, ce n'est pas un exil mais ce n'est pas agréable non plus à cette époque de l'année où nous chantons Noël.
    Enfin, soyons sages et patients dans l'intérêt de tous.

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