La nostalgie supporte-t-elle le matraquage ? L’avalanche d’articles et d’ouvrages commémorant Mai 1968 nous « interpelle quelque part au niveau du vécu », comme diraient les anciens combattants de ce printemps vraiment pas comme les autres.
Ceux qui ne l’ont pas vécu se plaisent à idéaliser la « révolution » de la jeunesse embourgeoisée des Trente Glorieuses.
Ceux qui y ont pris part s’inventent une « conscience citoyenne », préparant la France au crépuscule du gaullisme historique. Autant de miroirs qui renvoient aujourd’hui les images d’un folklore pathétique, dont les honnêtes historiens peinent à trouver le sens.
Faut-il alors « commémorer » Mai 1968 ? Assurément le verbe est trop beau. Ni grandeur ni douleur nationale dans ce feuilleton seventies. Laissons à la Victoire du 8 mai 1945 l’honneur de la mémoire.
Pour autant, Mai 1968 réveille à notre esprit une sympathique créativité imaginative, peuplée de « slogans », devenus aujourd’hui vestiges d’une « parole libérée ».
Des slogans nourris d’une solide culture philosophique, pétrie d’humour subtil, en rien comparables avec les « tags ethniques », dénués de sens, qui souillent impunément les murs de nos villes.
Le LIVRE que j’ai le plaisir de vous présenter cette semaine eut la bonne idée de vouloir restituer à chaud la mémoire de cette « démocratie de la rature » aux allures libertaires, mais combien élitiste, à en juger le niveau bac + 15 de certains graffitis…
EXTRAIT :
« Le grafitti en soi devenait liberté. Et combien de sincères ont écrits « je n’ai rien à écrire » : ils n’étaient pas naïfs. Ils ont crié pour se « sentir avec ».
Célébration d’un anonymat qui participe. Ceux qui ont cité n’ont pas signé, annexant l’auteur aux circonstances.
Mais ces cris, au clou sur la craie, à la chaux sur le parpaing et à l’encre sur le papier, niant la politique, contestant la philosophie, l’esthétique, la poésie, ont créé. Forum vertical, démocratie de la rature : les rajouts, les réponses instituaient un dialogue.
Déjà les lessivages blancs de juin écrasent à plat les pamphlets noirs et rouges de mai : on repeint.
Pour la première fois sans doute, un monument historique n’avait pas prétention de l’être.
Les dissonances et les discussions, monument éphémère d’un printemps, auraient disparu…
Ces murs aux grandes oreilles, qui revendiquaient la parole, n’auraient plus eu d’yeux ? Pourquoi ?
D’où ce recueil. »
Source : Journal mural Mai 1968 - Sorbonne, Odéon, Nanterre, etc… -
Les murs ont la parole…
Citations recueillies par Julien Besançon
(Paris, Tchou éditeur, juin 1968, 17,5 cm sur 11,5 cm, 182 pages)
« Je ne pense pas qu’il faille attacher
plus d’importance que cela n’en vaut la peine à quelques enragés. »
Alain Peyrefitte - Extrait d’un discours 3 mai 1968