Parce que la nostalgie épouse le rythme des saisons, n'oublions pas de saluer le retour du printemps.
Bientôt, déjà, enfin les « beaux jours » ? Comme la nostalgie, ces adverbes sont aussi de tempérament.
Mieux encore, les synonymes « de saison » sont riches d'espérance : renaissance, renouveau, réveil de la nature.
Ce poème de Théophile Gautier réussit, comme nul autre pareil, à mettre des parfums, des sons, des couleurs entre les mots...
Juste assez de quoi sourire au printemps, en attendant d'en savourer le spectacle, à la ville comme à la campagne.
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS
Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement, lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
La Nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neige
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée, il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête
Il dit : « Printemps, tu peux venir ! »
Théophile GAUTIER.- Émaux et camées (Paris, Eugène Fasquelle éditeur, 1928)