La nostalgie recèle de curieuses pépites pédagogiques, comme l’illustre cette récitation pour le moins « stigmatisante », pour reprendre un mot à la mode.
Les canons de la masculinité — dans le registre « Tu seras un homme » — proscrivaient jadis la moindre émotivité et rendaient toute idée de confort suspecte de la part d’un garçon.
Le ton de cette étrange récitation tourne en dérision l’expression de la sensibilité, à une époque où elle était censée être l’exclusive du genre féminin. Une franche discrimination que la pédagogie assumait alors sans honte ni complexe… Preuve que l’éducation morale campe sur les certitudes de son temps, pour le meilleur comme pour le pire.
Monsieur Douillet
Monsieur Douillet a bonne mine,
Le teint frais d’un rose naissant :
On mettrait sa chair en tartine
Tant elle a l’air appétissant.
Il est gras comme un coq en pâte ;
Dans ses habits tout est rempli.
Mais ce garçonnet que l’on gâte
N’est bien qu’à table ou dans son lit.
L’hiver, quand le froid nous assiège,
Tout fourneau devient son voisin ;
Il attend, pour toucher la neige,
Des gants fourrés du magasin.
En été, Monsieur s’exténue ;
Et dès qu’il se met au travail,
Il a trop chaud, il souffle et sue :
Passez-lui donc un éventail !
Pour une épine qui le blesse,
Le voilà les yeux à l’envers.
Vite des sels ! Une compresse !
Monsieur se pâme ! Il a ses nerfs !
Un rien lui fait des peurs extrêmes :
Peur des chutes, peur d’un faux pas,
Peur des coups, peur des gestes mêmes.
C’est du verre, n’y touchez pas !
Douillet, puisqu’ainsi je le nomme,
C’est en vain qu’un jour, mon garçon,
Tu porteras barbe au menton.
Tu ne seras jamais un homme.
Maurice MOREL — Violettes et Primevères (Paris, Larousse éditeur, s.d.)
Récitation extraite d’un manuel scolaire : CALVET (J.) & LAMY (R.) — Le Français par la lecture expliquée – cours moyen (Paris, J. de Gigord éditeur, 5e édition, 1934)