Comme la nostalgie se plaît assez dans les veillées d’hiver, mettons ce mois à l’honneur sous la plume de Francis Yard, poète normand injustement tombé dans l’oubli.
Un couple de petits vieux bercés par la chaleur du poêle, un gros chat blanc fainéant, une causerie du soir, avare de mots, autour des premiers frimas de l’hiver : voilà mise en scène toute la poésie de décembre que nous aimerions tant revivre, entre rusticité et simplicité, avec le serein réconfort de se sentir bien, tout simplement.
Décembre
Chez les vieux, mes voisins d’en face,
Qui somnolent auprès du feu,
Je suis allé causer un peu.
En dix pas, j’ai franchi la place
Où mes sabots laissent leur trace…
Les deux pieds sur sa chaufferette,
Ses sabots de chaque côté,
La vieille coud, jamais distraite,
Tâtonnante, l’air entêté,
Le nez pointu sous ses lunettes.
Et son gros chat blanc dort en rond
Près du poêle cerclé de cuivre,
Le poêle noir qu’en entend vivre
Avec son ronflement profond,
Calme et plus doux au temps de givre.
La lumière est diminuée,
Les carreaux clairs devenus gris
Se sont voilés, comme ternis
De somnolence et de buée,
Soupirs émus du bon logis…
On ne sait même plus l’heure…
Le temps assoupi demeure
Immobile et tout transi…
En cet exil de la terre,
On se résigne à se taire.
L’horloge somnole aussi.
Pas un soupir, pas un souffle.
Tout s’étouffe et s’emmitoufle…
L’oubli morne a recouvert
La forêt, la lande immense.
C’est le règne du silence,
La grande paix de l’hiver…
Laissons les choses s’endormir.
La neige tombe. C’est décembre.
Sur l’an qui meurt pourquoi gémir ?
Espoir vaut mieux que souvenir.
Le poêle ronfle dans la chambre…
Francis YARD — L’An de la terre (Paris, Grasset éditeur, 1906)
§
À propos de l’auteur —
Athanase François Yard, dit Francis Yard, (1876-1947), est natif de Boissay, en Seine-Maritime.
Le succès qu’obtient son premier recueil de poèmes, — intitulé Dehors — comble ses rêves. Nanti d’un petit héritage familial, il s’installe à Paris pour s’y faire un nom.
À Montmartre comme au Quartier latin, le cénacle culturel l’affuble d’un surnom qui a tout l'air d'un gentil quolibet, « le Poète des Chaumes ». Après deux ans d’aventure littéraire, jonchés de cruelles désillusions, il rejoint son pays natal où il embrasse la noble carrière d’instituteur. La passion qu’il voue à son métier lui ménage assez de temps pour écrire, dans un registre enraciné dans son terroir. Son inspiration le promène alors entre almanach, contes et légendes. Le « Poète des Chaumes » cède alors la place au « Barde de la Normandie », une juste consécration pour cet écrivain qui ne sut pas résister à l’appel de la terre… Tout à la gloire de son œuvre.
À découvrir, la note biographique fort bien construite, rédigée en classe par les élèves du Collège Francis-Yard de Buchy, en Seine-Maritime — http://francisyard-col.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article9
Source : Cours SCHWEITZER — Album de planches en couleur (Paris, Librairie Armand Colin, 1908)
§
Vous recherchez des récitations évoquant l’enfance ou le rythme des saisons ? Procurez-vous vite mon Petit Cahier de Récitations, en vente dans les bonnes librairies.
Jacques GIMARD — Petit Cahier de Récitations – Jouez à réviser vos classiques !
Paris, Hors collection, juin 2015, 18 x 23 cm, 5 €)
Découvrez ce cahier d’antan sur le site de mon éditeur
http://www.horscollection.com/site/petit_cahier_de_recitations_&100&9782258118607.html