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OPEN IN LIVE (2/3)

En direct du 16e Open d’échecs de Villard-de-Lans (Isère) —

La chronique in live de Jacques GIMARD, « pousseur de bois » persévérant, en cure de sevrage.

« JE PERDS DONC J’APPRENDS »

Open-08.png« Dans la vie, je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. » Qu’il est bon de convoquer le sage Nelson Mandela au moment d’analyser une partie d’échecs ne laissant derrière elle que des sueurs et des larmes ! Prix Nobel de la Paix, icône totémique de la résistance à l’oppression, Nelson est de bon secours dans les moments sombres du dépit échiquéen.

Oui, je perds, donc j’apprends. Seule cette sentence parvient à me consoler dès que je couche mon Roi sur l’échiquier. Geste rituel pour signifier l’abandon. Hommage implicite pour féliciter mon adversaire, dans la tradition chevaleresque du noble jeu.

Ici comme ailleurs, à l’Open de Villard-de-Lans, — quoi qu’en disent les philosophes esthètes du jeu d’échecs —, seule la victoire est belle. Et la défaite a toujours un goût amer. Alors, sans complexe ni pudeur, osons une petite excursion dans le drame intime qui se noue sur l’échiquier.

Amateurs et grands maîtres sont (presque) égaux devant l’échiquier, du moins dans le rapport à l’adversité. Après avoir joué mon premier coup, je m’accorde une bonne minute pour dresser l’inventaire de mon adversité. Parce que je sais devoir affronter, — pendant plus de quatre heures durant, peut-être —, trois adversaires en une même unité de lieu.

Premier adversaire : le joueur en face de moi

Open-10.jpgPremier adversaire, le joueur ou joueuse en face de moi. J’essaie de lire sur son visage, dans son regard, dans ses mains, — ne jamais oublier le langage des mains ! —. Selon qu’il est jeune ou âgé, homme ou femme, petit ou grand, rond ou sec, fermé ou souriant, impassible ou nerveux, s’établit une certaine relation implicite, tacite, énigmatique, capable tour-à-tour de me rassurer ou de me désarçonner. Dans le silence habité d’une partie, tout prête à interprétation et conjecture.  Lors du tournoi de Villard-de-Lans, par exemple, je sais avoir gagné ou perdu au gré d’une bonne ou mauvaise acuité psychologique. Au-delà de la position de mes pièces, plus ou moins confortable, le geste envoie un message. Pour avancer un pion, dois-je le marteler sur la case ou le pousser du doigt tout en délicatesse ? Question d’ambiance, d’humeur, ou de pugnacité, ouvrant l’éternel débat comportemental. Dans la tempête d’émotions qui s’abat sur l’échiquier, faut-il exprimer ou taire des sentiments ? La victoire se nourrit-elle d’exubérance ou de placidité ? La question revient me hanter chaque fois que je couche mon Roi…

Deuxième adversaire : la terrible pendule

Open-11.jpgDeuxième adversaire, la terrible pendule égrenant les minutes de réflexion, dans un temps imparti qui semble, au gré de la tension sur l’échiquier, doucereux ou oppressif, dramatique ou rassurant. Depuis plus de vingt ans, les pendules sont électroniques : insonores, précises et implacables. À mon humble avis, le noble jeu a perdu là une grande part de son romantisme. Douce nostalgie des pendules mécaniques aux aiguilles approximatives et au cliquetis anxiogène ! Aujourd’hui, la torture du temps qui file ne serait-elle pas plus sournoise ? Silencieuse, sentencieuse, vertueuse.

Complice de la victoire pour un joueur rapide ou facteur de détresse pour un joueur lent, le temps se dresse en arbitre froid des émotions mal maîtrisées. Faut-il l’accuser ou le dédouaner ? Faut-il s’en plaindre ou s’en féliciter ? Qu’importe le point de vue rétréci de notre humanité puisque le célèbre adage de l’Antiquité romaine se rappelle à nous : « vulnerant onmes, ultima necat ». Sur l’échiquier comme dans la vie, chaque minute blesse, la dernière tue. Soudain, cette sagesse philosophique ne vient-elle apaiser la douleur intime de la partie perdue ? Pas étonnant alors si aux échecs, le temps a son vocabulaire : « être en zeitnot », autrement dit « être en besoin de temps », selon le sens littéral de ce mot germanique. Mais pourquoi ce mot ne vaudrait-il que sur l’échiquier ? Et à bien réfléchir, le temps relève-t-il du besoin ou de la fatalité ? J’ignore, à Villard-de-Lans, combien de joueurs se posent la question. Et si elle se présente là à mon esprit, n’est-ce pas pour chercher un minable alibi à mes défaites ?

Troisième adversaire : le joueur que je suis

Open-12.jpgTroisième adversaire, le plus imprévisible, le plus redoutable, le plus fourbe aussi : soi-même ! À n’en point douter, là réside le charme pervers du jeu d’échecs. Axiome impitoyable du noble jeu :  si je perds, c’est parce que j’ai failli, faibli ou omis. Impensable, incongru, indécent de s’en prendre à l’autre. Regret, remords, mépris de soi forment les contours de l’ecchymose-bobo-à-l’âme. Et la blessure narcissique mettra le temps qu’il faut pour cicatriser… Savoir analyser les causes intimes de la défaite, — mal maîtriser ses émotions, avoir trop forte ou trop faible confiance en soi, sous-estimer l’adversaire, — n’est-ce pas déjà faire acte de résilience ? Accepter ses faiblesses pour mieux les surmonter, savoir vivre avec ses « médiocrités passagères », enfouir ou remuer notre « misérable petits tas de secrets » comme l’ami André (Malraux) : tout cela aussi, c’est « savoir jouer aux échecs »… Car nul jeu ne mérite mieux son nom. Et pour nous qui cherchons parfois une argutie facile pour digérer une défaite affictive et/ou infâmante, l’ami Alfred (Einstein) sera toujours là, en spécialiste de la relativité, pour nous aider à relativiser : « Jouer aux échecs est la façon la plus intelligente de perdre son temps ! »

Alors résumons-nous. Aux échecs, quand je perds, j’apprends. Et quand j’apprends, je me demande soudain si c’est utile. À Villard-de-Lans aussi, un Open d’échecs est une leçon de vie !

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Commentaires

  • Ne connaissant rien du tout aux échecs, je me permets cependant de citer cette phrase du pédagogue Célestin Freinet : " Les échecs quels qu'ils soient ne doivent jamais remettre en question la volonté de les dépasser car c'est le sens même de la vie."

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