Cette semaine, j’ai le plaisir de vous présenter un livre de morale qui, à n’en pas douter, provoquerait un énorme scandale aujourd’hui. Et pourtant, comme tout manuel scolaire, il reçut en son temps l’autorisation des autorités compétentes pour être diffusé dans les écoles.
L’extrait n°1 est représentatif des livres de « lecture morale » de l’époque : une préface pavée de bonnes intentions, avec le ton incantatoire qu’appelle le genre.
L’extrait n°2 nous met beaucoup plus mal à l’aise. Sous couvert de dénoncer les préjugés, il n’hésite pas à faire la part du vrai et du faux parmi les qualités et défauts de la « race juive »…
Une leçon de « morale édifiante », écrite en 1927 (bien avant les « années noires ») qui révèle entre les lignes combien la « civilisation française » était contaminée par les relents de l’Affaire Dreyfus, et comment la sage école laïque abordait le sujet de la tolérance… en mêlant, sans complexe, condescendance et insinuation !
Source : MARTINON (Suzanne) & DESPIQUES (Paul) - Paul Defrance - Histoire d’un petit citoyen français –
(Paris, Librairie Delagrave, 1ère édition, 1927, 192 pages, 12 sur 18,5 cm)
EXTRAIT N°1 -
« L’éducation est la pierre angulaire de toute vie humaine. Or, elle n’est plus aussi en honneur qu’autrefois dans les familles, et c’est là un danger sans cesse plus menaçant, auquel il faut parer de toute sa meilleure volonté, de toute sa croyance, de toute sa ferveur pour un idéal.
Idéal… voilà un grand mot prononcé ! Mais en est-il un plus beau ? Est-il tâche plus noble, et qui requière plus de persévérance et d’enthousiasme profond, que d’élever l’enfant, avec simplicité et tendresse, vers tout ce qui est vrai, sain, juste et beau ?
Mais là même ne se bornait pas notre ambition. Nous nous sommes efforcés de lui faire aimer la terre… ; d’abord ses aspects les plus séduisants : les arbres et l’eau, les fruits et les fleurs ; et puis les bêtes et la ferme ; enfin le travail libre et fécond, sous le ciel vaste et pur…, loin des bureaux étroits, loin des fumées d’usine… ; la terre, c’est-à-dire l’orgueil de récolter et l’orgueil de nourrir… ; la terre, le pain de tous…, la terre, le bien le plus vrai, le plus sûr, celui qui, mieux qu’aucun autre, fait l’homme libre ! »
EXTRAIT N°2 -
« Quand j’étais petit, j’avais, je ne sais trop pourquoi, horreur des Juifs. Était-ce d’avoir entendu prononcer autour de moi l’injure : « Sale Juif » ? Je ne prononçais moi-même jamais ce mot de juif sans l’épithète sale. Pas à la maison, naturellement : papa et maman m’en auraient vertement grondé ! À force de dire « sale juif », je m’étais persuadé que les Juifs étaient la race la plus déplaisante et la moins intéressante qui fût. En quoi je me trompais fort. Convenons qu’elle a ses défauts, qui nous rebutent un peu. Il n’en est pas moins vrai qu’elle nous donne l’exemple de vertus essentielles, telles que l’amour du travail, la persévérance et l’esprit de solidarité. Et, si peu que j’ai fréquenté des Juifs, j’ai gardé le souvenir de jeunes gens intelligents, particulièrement doués pour les arts, et de qui la volonté d’atteindre un but fixé m’impressionna plus d’une fois très vivement. »