Parmi les émotions qu’elle s’amuse à éveiller en nous, la nostalgie se veut sélective. La chaîne ARTE vient de nous en asséner une belle démonstration en diffusant le film « 64 cases pour un génie » relatant l’irrésistible ascension de Bobby Fischer vers la conquête du titre de champion du monde des échecs, en 1972.
Mieux qu’un champion, dans la mémoire des échéphiles, Bobby Fischer demeure à jamais l’ambassadeur mondial du noble jeu.
Celui qui libéra l’univers magique des 64 cases du carcan propagandiste que la dictature soviétique lui assigna trop longtemps.
Celui qui propulsa à sa manière, fougueuse et indomptable, le jeu d’échecs sur le théâtre d’ombres où se jouait l’affrontement entre les deux blocs.
Celui qui provoqua un engouement planétaire pour les échecs, plus vif encore que ne le connaît le poker aujourd’hui.
À ma modeste échelle, n’est-ce pas au cours de l’été 1972 que j’appris les rudiments du jeu, sans deviner alors que je resterai à vie « just a poor wood pusher »…?
Le livre qui m’initia, — auquel j’ai déjà consacré une chronique dans ces colonnes — a forgé « ma » légende Bobby Fischer. À partir de ces premières leçons, j’ai voulu explorer les moindres recoins de l’ouverture en vogue grâce à la Fischermania : la variante d’échange de la Défense Espagnole, jouée avec les Blancs. Les experts me comprendront…
Cf. lien ad hoc : http://nostaljg.hautetfort.com/archive/2008/01/19/noble-jeu-et-beau-livre-n-5.html
En une soirée sur ARTE, dois-je avouer, le film « Bobby Fischer against the world » — ce titre original en explicite mieux le contenu — suffit à briser le mythe.
Certes, au fil de documents et de témoignages inédits, jaillit le génie de Bobby dans sa mystérieuse fulgurance. Mais les aspects sombres du personnage viennent vite lézarder la statue que l’on vénérait sous le seul prisme du talent échiquéen.
Asocial dès son plus jeune âge, en proie au syndrome d’Asperger, il développa à l’âge adulte tous les symptômes d’une schizophrénie paranoïde, expliquant sans doute son renoncement subit à la compétition, son étrange rapport à la religion, entre mysticisme et répulsion, et son antisémitisme monstrueux qui achèvera sa descente aux enfers…
Si ce film se révèle iconoclaste, au propre sens du terme, il nous ramène à une question essentielle : faut-il caresser l’envie d’être un génie ?... Même sur l’échiquier.
Il est permis d’y réfléchir, entre deux parties d’échecs bien sûr !
Bobby champion du monde et Bobby reclus du monde : les deux visages de l’aliénation par le jeu d’échecs…
À (re)découvrir : le film est rediffusé le 19 décembre sur ARTE
Vous pouvez aussi revoir le film sur le site ARTE
http://www.arte.tv/fr/semaine/244,broadcastingNum=1292744,day=3,week=51,year=2011.html