Sans nostalgie aucune, à quelques minutes de minuit, n’est-il pas réconfortant de tourner le dos à 2015, « cette année terrible que nous venons de vivre », dixit la bonne parole présidentielle ?
Qu’il relève d’un rite festif ripailleur ou d’une simple convention sociale, le traditionnel échange de vœux tient plus, — osons le reconnaître —, de la sympathique incantation que d’une sincérité profonde, sans même prendre soin d’y mettre les formes.
Combien de fois faut-il supporter de lire, dans notre courrier de janvier, la formule « Je vous souhaite tous mes vœux », barbarisme éclairant les sévices infligés à notre chère et belle langue de Molière.
Ringards les vœux ?
Pour le reste, « adresser nos vœux de bonheur » n’est-il pas quelque peu ringard, voire archaïque, en ce XXIe siècle hédoniste où de savants esprits se sont mis en tête de nous convaincre que le bonheur ne dépend que de nous ?
Ces apôtres du bonheur, très en vogue dans les « magazines de psychologie vendus en kiosque », ont l’art de déguiser un produit marketing en une « vérité révélée » — venue dont on ne sait où, et inventée par on ne sait qui — au nom de laquelle il existerait bel et bien un « modus operandi » du bonheur, résidant tout entier sur le « pouvoir guérisseur de l’esprit ».
Premier axiome du bonheur clef en main : privilégier une quête du bonheur sans Dieu. Détacher la condition humaine de la création, affranchir l’homme de tout ancrage spirituel, n’est-ce pas lui garantir qu’il est maître de lui-même, de son chemin de vie comme de son… bonheur ? Preuve que le bonheur est désormais à la portée de tous : le bonheur est sécularisé, laïcisé, matérialisé par des indices quantifiables et tangibles. « Dieu est mort », clamait Nietzsche. Tant mieux alors pour l’homme, enfin libéré du carcan religieux. Libre à lui de chanter en chœur la « ballade des gens heureux »… Et que ceux qui ne connaissent pas les paroles aillent au piquet, s’il vous plaît. Pas question de supporter les rabat-joies !
Écoutez un peu les prophètes du bonheur !
Deuxième axiome du bonheur clef en main : distiller un petit zeste de spiritualité — juste ce qu’il faut pour faire rêver — en flattant les charmes irrésistibles de la pensée orientale. En puisant pêle-mêle aux sources du bouddhisme, de l’hindouisme et du taoïsme, nos apôtres du bonheur font œuvre de syncrétisme pour le bien-être de l’humanité. Parce qu’ils en savent beaucoup plus que nous, ils sont savants. Parce qu’ils ont tout compris mieux que nous, ils deviennent des guides. Eux seuls ont déjà emprunté la piste. Alors suivons-les en confiance sur le chemin escarpé du bonheur. Eux seuls connaissent les écueils, les pièges et les impasses. Malheur à vous si vous ne les écoutez pas. Parce que le bonheur se construit pas à pas, dans leur sillage… Et nulle part ailleurs !
Troisième axiome du bonheur clef en main : cesser de croire que le bonheur est une émotion éphémère qui dépend des autres et de votre environnement. Non, lisez bien nos prophètes des temps modernes : le bonheur est un mécanisme qui ne dépend que de vous, de votre talent à nourrir vos « pensées positives » — vouées exclusivement à chasser tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à des idées grises — de votre manière de « vous ancrer dans le présent », dans votre façon de « rester connecté à soi-même pour mieux habiter son corps »… Si vous ne ralliez pas cette nouvelle vérité scientifique, tant pis pour vous ! Vous refusez votre propre salut. Vous tournez le dos au bonheur. Et vous n’aurez pas le droit de vous plaindre… Dixi quod dixi !
NB1— La présente chronique s’inspire librement de l’excellent article de Luc FERRY publié le 24 décembre dernier dans Le Figaro. Avec subtilité et humour, il détricote la mode de la « psychologie positive »… Bien mieux que moi !
NB2 — À parcourir aussi, l’article de Sylvaine PASCUAL sur son site : « Pensée positive ou le revers de la médaille »… Ou comment une spécialiste de la psychologie positive jette un œil critique, — pertinent et fort bienveillant — sur sa propre discipline.
http://www.ithaquecoaching.com/articles/pensee-positive-le-revers-de-la-medaille-1215.html
§§§
À quelques minutes de 2016,
que faut-il retenir alors de mon ultime « humble avis » 2015 ?
De toute évidence, après lecture de ces diverses sources, s’offrent à vous deux façons de formuler vos vœux pour 2016.
— La façon branchouillée parce que tout le monde le dit comme ça.
Je vous souhaite tous mes vœux pour 2016. (barbarisme oblige)
Avec plein de pensées positives ! (…c’est écrit dans les magazines)
— La façon sobre et classique parce que c’est ainsi qu’on écrivait jadis.
Avec tous mes vœux pour l’Année nouvelle.
Bonheur, Santé & Sérénité.
Question subsidiaire : Devinez quelle est mienne ?
Commentaires
La seconde ? ;-)
Les vœux par Jacques Brel (1968)...
Jacques Brel« Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants. Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille. Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable. »
Les vœux de Jacques BREL, 1er janvier 1968 (Europe 1)