La nostalgie peut-elle être malsaine ?
La question nous vient à l’esprit au détour de la (vaine) polémique que de beaux esprits agitent au sujet de l’exposition « Les Parisiens sous l’Occupation » qui nous présente des photographies inédites, et en couleurs, d’André Zucca, correspondant de guerre, requis par les Allemands pour mettre son talent au service du magazine de propagande Signal, le Paris-Match de l’époque, version gentiment nazie.
Pour le magazine L’Express, paru le 17 avril, ces clichés « auraient peut-être mérité d’être présentés avec plus de pincettes ». Une réserve prudente qui sent bon le « politiquement correct ». Comme si l’esthétisme de ces photos devait nous donner mauvaise conscience. Comme si la nostalgie pouvait receler des charmes honteux, que la sentencieuse Histoire aurait le devoir de dénoncer.
Cette fresque de la vie parisienne sous l’Occupation fut réalisée, bien sûr, pour séduire et rassurer. Et aujourd’hui encore, la magie opère : les rues de la Capitale baignent de soleil, l’air semble léger, l’ambiance sereine, les femmes élégantes, les Allemands souriants. Bref, rien à voir avec les « années noires » que cultive notre mémoire collective, engoncée dans une révérencieuse compassion.
Mémoire collective, mémoire sélective ? Nous « qui ne pouvons juger parce que n’avons pas connu cette époque », comme aimaient le répéter nos parents pour nous clouer le bec, nous pouvons seulement nous souvenir de ce qu’on a bien voulu jadis nous enseigner.
Dans les livres d’école, le tableau de « la France occupée » (Cf extrait ci-dessous) nous présentait un tout autre décor, où le chaos le disputait à l’abattement. Version gentiment républicaine, auréolée par le sublime dénouement de la Libération de Paris, à la gloire de ceux qui ont choisi le sursaut contre la résignation.
Les générations passent, l’Histoire officielle trépasse. Et la Vérité triomphe peu à peu avec son long cortège de nuances que célèbre à merveille l’irénisme à la française. Certes « on ne vivait pas bien sous l’Occupation », mais « il fallait bien vivre quand même »… Et grâce à l’étrange résonance de ce « quand même », ponctué de dépit ou de fatalisme, on comprend aujourd’hui qu’il est indécent de juger.
Conjuguer nostalgie et pédagogie, n’est-ce pas tout ce qu’on demande à une belle exposition ? Remercions alors l’artiste André Zucca pour s’être si bien dévoué à l’Alllemagne nazie. Sans lui, dans notre imaginaire, Paris occupée serait vraiment trop grise…
Pour en savoir plus :
http://www.paris.fr/portail/Culture/Portal.lut?page_id=145&document_type_id=2&document_id=50952&portlet_id=11706
Source : AUDRI (E.) & DECHAPPE (M. & L.) – Histoire de France – Images et récits –
(Limoges, Charles-Lavauzelle et Cie éditeur, 1968)
Source : GAUTROT LACOURT (J.) & GOZÉ (E.)- Premier livre d’Histoire de France
(Paris, Éditions Bourrelier, 1953)