LE TOURNOI (03 mai 2015)

Le-Tournoi-03.jpgLa nostalgie est bienveillante dès qu’elle s’attache à un bon souvenir cinématographique. C’est le cas du film LE TOURNOI que j’ai savouré dans une salle presque vide… Cinq spectateurs tout au plus.

D’autres indices m’autorisaient à craindre le pire. Les critiques lues ici ou là sont mitigées. Le film, peu distribué sur Paris dès la première semaine, laisse présumer un petit budget de production. Rares sont les films échiquéens qui ont marqué l’histoire du cinéma ou du noble jeu. De surcroît, comment rendre intelligible une dramaturgie sur un espace aussi hermétique que celui de l’échiquier ? Toutes ces pensées n’auguraient rien de bon. Et pourtant j’en suis sorti ravi, ébloui, rassuré : oui, le jeu d’échecs a enfin son « bon film » ! Film français, qui plus est…

Une comédie humaine autour de l’échiquier

Le-Tournoi-04.jpgElodie Namer, — formée à l’école de la tété-réalité et à l’écriture de scénarii pour des séries télévisées — réalise là son premier film. Son talent doit beaucoup  à son œil exercé. Sans excès de caricatures ou de clichés faciles, elle dresse un tableau sociologique assez décapant de cette faune étrange qui peuple les tournois d’échecs internationaux. Comédie humaine amusante, parfois glauque, de tout ce que l’élite échiquéenne compte de sales gosses mal élevés, désinvoltes et irrespectueux, autistes ou égotistes, capricieux et jouisseurs, immatures et marginaux. Comme si l’échiquier ouvrait un exutoire féérique à leurs frustrations ou à leur désenchantement du monde. La réalité n’est pas loin. Addiction malsaine et bûcher des vanités s’offrent en joyeux spectacle. Prouesse cinématographique trop rare à l’endroit du noble jeu.

Sans avoir besoin de résumer l’intrigue — aux nœuds dramatiques subtilement amenés —, gageons que l’amateur éclairé ou le néophyte bon public communieront de plaisir dans l’univers de ce jeu captivant, « trop sérieux pour être un jeu et trop ludique pour être une science » selon le bon mot de Felix Mendelssohn.

Une réplique culte anti-macho

Le-Tournoi-02.jpgL’ambiance du tournoi est assez prenante. La tension psychologique est fort bien restituée, sous la pression anxiogène d’un entraîneur national, mi-coach, mi-gourou, antipathique à souhait, tyrannique, lunatique et traitre. Tout pour plaire… Certes les considérations stratégiques — drôle de litanies autour des ouvertures catalane, slave, sicilienne, etc. — ont de quoi déconcerter le profane, mais ne participent-elles pas à taquiner le langage obscur des initiés ?

La fragilité de ces joueurs grands ados est émouvante, un rien pathétique. Le favori du tournoi brise-t-il son stylo au hasard d’un tic exaspérant ? Et voilà que son capital confiance est ébranlé. En tout joueur d’échecs, sommeillerait un fétichiste superstitieux. C’est vrai que le rite rassure devant l’échiquier. Un rien peut venir troubler le bon ordonnancement des petites manies et s’inviter en mauvais présage…

La réflexion sur le jeu est bien dosée, enfin. Ni envahissante ni pompeuse. Assez malicieuse pour battre en brèche la proverbiale misogynie des joueurs d’échecs chevronnés. Avec cette réplique-culte qui vient clouer le bec du joueur trop sûr de lui : « Comme quoi on peut faire des choses pas mal sans testostérone… », dixit une jeune championne mi-candide, mi-garce. Un joueur averti en vaut deux.

Celles et ceux qui resteraient insensibles à la magie du jeu d’échecs n’auront pas perdu leur temps en allant voir ce film. Une autre envie les gagnera vite, pour sûr. Réserver un billet direction Budapest pour découvrir le sublime Hôtel Gellert, lieu de tournage du film. Un pub à peine déguisée de bon aloi. Un sublime chef d’œuvre de l’art nouveau qui fait honneur au noble jeu… bien au-delà d’un film.

 

NB1- Sans doute mon humble avis est-il altéré par ma pratique addictive du jeu d’échecs ? L’opinion des non-initiés s’avère d’autant plus nécessaire… et tout aussi judicieuse, je n’en doute pas. Les joueurs aguerris, eux, porteront peut-être un regard différent du mien. Libre à eux. Indulgence et respect. « Gens una sumus » — nous formons une seule famille — rappelle le générique du film. C’est la devise de la FIDE, la Fédération Internationale des Échecs. Même pas en rêve ?

NB2- Pour les fanas des « films échiquéens », Cf. une précédente rubrique consacrée à Joueuse

http://nostaljg.hautetfort.com/archive/2009/08/06/l-echiquier-desenchante.html 

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Titre explicite et pièces d’échecs au premier plan, l’affiche du film assume l’évocation du « noble jeu » alors même que sa pratique demeure très marginale en France… Un choix artistique courageux, en clin d’œil au vieux mystère qui rôde autour du « jeu des rois, roi des jeux ».

 

 

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